Quand on y regarde de plus près, certains boucs émissaires peuvent sembler narcissiques, mais pas comme on pourrait s’y attendre, et ce n’est pas de leur faute. Ce sont des narcissiques réactifs, qui essaient de sauver un semblant de fierté au sein de leur famille torturée.
Qui est le bouc émissaire ?
La rancune du narcissique ne disparaît jamais ; il la refoule simplement. Il a besoin de quelqu’un sur qui déverser sa rage refoulée : un « mauvais » enfant de la famille. Le narcissique considère généralement le deuxième enfant ou le plus vulnérable comme l’enfant à problèmes, et le prend pour cible en le désapprouvant et en le maltraitant constamment.
Alors que l’enfant chéri d’une famille narcissique ne peut rien faire de mal, le bouc émissaire ne peut rien faire de bien. Le bouc émissaire est toujours présenté sous un jour négatif, quelle que soit la réalité, jour après jour, sans relâche.
Les autres enfants de la famille suivent sans le savoir, prenant l’exemple du narcissique en utilisant le bouc émissaire comme une occasion de décharger leur propre ressentiment et leur honte non reconnus. Le bouc émissaire est généralement le premier à agir ou à montrer des symptômes de maladie mentale, en raison du fardeau insupportable d’être le dépotoir des émotions toxiques collectives de sa famille.
La réaction du bouc émissaire face aux abus
En réaction au dénigrement constant de sa famille, le bouc émissaire peut « se gonfler », en utilisant la grandiosité pour se débarrasser de la honte paralysante qu’il porte en lui. Il peut se vanter, contre-attaquer ou simplement essayer de fixer des limites ou de verbaliser sa détresse. Le reste de la famille réagit de deux manières, selon la situation :
- Attaquer : quand le bouc émissaire se gonfle de manière opportuniste en utilisant la grandiosité pour compenser ses sentiments d’infériorité et d’inutilité, le reste de la famille va le ridiculiser et l’attaquer pour le « remettre à sa place ». C’est le plus souvent à table ou dans le salon, quand tout le monde est en train de discuter et que le bouc émissaire « ose » s’affirmer.
- La provocation : quand les autres membres de la famille se sentent pas en sécurité ou ont des émotions négatives qu’ils veulent évacuer, ils titillent volontairement le bouc émissaire sur ses points sensibles (qui ont été créés par le parent narcissique). Ça pousse le bouc émissaire à exagérer sa valeur pour repousser la honte de ces attaques.
La triste réalité d’une famille narcissique
Dans une famille narcissique, tout le monde a un peu de narcissisme, parce que personne ne peut échapper aux attentes grandioses du parent narcissique. C’est comme la grippe, ça finit par se propager à tous les membres de la famille parce qu’ils sont trop liés. La différence principale, c’est la façon dont chacun y réagit.
L’enfant perdu fantasme tranquillement sur sa grandiosité, puisque personne ne la reconnaît dans le monde réel. L’enfant chéri vit son narcissisme à travers le regard du parent narcissique. L’enfant divin (le plus jeune) se délecte de sa grandiosité en se montrant gentil et adorable. Le bouc émissaire exprime sa grandiosité par de courtes explosions désespérées qui ne sont jamais tolérées. Le bouc émissaire est psychologiquement torturé par la honte, toujours à bout de souffle (estime de soi).
Le drame familial créé par le parent narcissique ne peut être ignoré et crée chez les membres une « mentalité narcissique », dans laquelle la vie consiste à essayer de rester du « bon » et du « meilleur » côté de la balance.
La dualité, c’est-à-dire le bien et le mal, devient réalité. L’amour, le réconfort, l’éducation, l’évolution, l’empathie : rien de tout cela n’est offert. La balance est tout, elle recouvre toute l’expérience familiale, étouffant tout sentiment de calme spirituel que quiconque pourrait ressentir. À mesure que la répression s’accumule dans la cellule familiale, c’est le bouc émissaire qui porte le fardeau de tous les autres.
La stratégie difficile du bouc émissaire pour s’échapper
Comment un bouc émissaire peut-il échapper à cet enfer éternel et atroce ?
Ce n’est pas facile.
Mais c’est possible. Tout d’abord, le bouc émissaire doit reconnaître que le mal est profondément ancré en lui et qu’il entravera ses tentatives de récupération.
Il doit aussi accepter qu’il ne trouvera jamais le salut dans son foyer familial — il doit changer d’environnement. Le bouc émissaire doit abandonner la quête sisypheenne de l’approbation de sa famille narcissique.
Le bouc émissaire doit avant tout abandonner sa grandiosité comme mécanisme de défense et reconnaître progressivement sa colère d’avoir été maltraité.
En lâchant prise sur le besoin d’approbation de sa famille et ses mécanismes de défense, le bouc émissaire tombe dans un gouffre de douleur, de peur et d’incertitude. Seul dans le désert du monde, paralysé par la honte, la rage et le traumatisme, le bouc émissaire sera enclin à rejoindre de nouveaux groupes et à se mettre dans des situations où il pourra reprendre son rôle par une compulsion de répétition. Il doit être vigilant à tout moment face à ce processus inconscient.
Le bouc émissaire doit se construire une nouvelle identité et avoir le courage de se débarrasser de l’ancienne. Il peut bien sûr cesser d’être « un idiot sans valeur » s’il parvient à créer cette réalité. Il y parvient en remettant en question ses croyances sur lui-même et en tissant de nouvelles expériences qui contredisent les mensonges de sa famille d’origine.
Affronter l’obscurité
L’ombre du bouc émissaire sera son fardeau le plus lourd. Les qualités que sa famille narcissique a rejetées sont toujours là, enfouies sous une honte toxique, un traumatisme et le désespoir. Plonger en elles et les récupérer sera un travail extrêmement difficile.
Avec le temps, le bouc émissaire apprendra que son critique le plus sévère n’était pas son parent narcissique et sa famille, mais lui-même. Cela reste en lui comme une voix sévère dans sa tête, le harcelant, attaquant tout ce qu’il fait. Explorer et exposer cela sera essentiel à sa récupération.
Le bouc émissaire aura besoin d’aide. Son ombre est bien plus redoutable que celle des autres, et pour naviguer dans les profondeurs, il aura besoin d’une bouée de sauvetage pour remonter à la surface, sinon il risque d’être englouti. Un thérapeute, un groupe de soutien, voire un ami aimant peuvent lui apporter cette aide à des degrés divers et lui donner un petit coup de pouce pour s’assurer que le bouc émissaire va bien lorsque les profondeurs de son ombre le submergent.
Le bouc émissaire guerrier
Contrairement à ce que pense sa famille, le bouc émissaire est un guerrier doté d’une volonté de fer. Il a survécu à l’enfer et, d’une manière ou d’une autre, il est resté debout. Sa ténacité est sans pareille et, lorsqu’elle n’est plus dirigée vers la tempête familiale, elle peut être canalisée vers la récupération avec des effets profonds.
Enfin, et surtout, le mot « bouc émissaire » doit être écrit et affiché sur le mur pour être vu tous les jours. Au fur et à mesure que la personne avance sur le chemin de la récupération, en supportant les innombrables jours d’enfer et de confusion, un jour viendra où elle se sentira prête à abandonner ce terme et à adopter une nouvelle façon d’être où aucun terme n’est nécessaire. Elle est un être humain, complexe, terrible et merveilleux à la fois, avec le potentiel de devenir tout ce qu’elle veut. Quand elle prend conscience de ça, elle doit arracher ce bout de papier du mur, le froisser et le jeter à la poubelle. Et ne jamais regarder en arrière.