Je joue le jeu de l’image que les autres ont de moi, mais ce n’est pas vraiment moi.
- Kim Kardashian
Les narcissiques ont besoin des autres pour garder leur pouvoir. Alors que la plupart des gens créent des liens grâce à l’empathie et à la coopération, les narcissiques doivent convaincre les autres d’entrer dans leur monde imaginaire par d’autres moyens. Pour ça, ils utilisent l’art de la persuasion pour vendre leur faux soi tout en manipulant les autres pour qu’ils répondent à leurs besoins narcissiques.
Au cœur de chaque narcissique, derrière son faux soi élaboré qui peut tromper presque tout le monde, se cache une méthodologie intemporelle. Inventés par Aristote il y a plus de deux mille ans, les « trois piliers de la persuasion » sont restés un modèle universel d’influence, et se résument comme suit :
Avoir de l’ethos, c’est projeter une image de compétence, de divinité et d’autorité. La façon dont une personne s’habille, son langage corporel, son expression et sa capacité à démontrer son succès et son statut constituent tous l’ethos.
Pense à Adolf Hitler. Il a adapté son apparence et son langage corporel pour donner l’impression d’une autorité absolue, faisant preuve d’une discipline anormale pour soigner son image. Il faiblissait rarement en public, conservant une posture parfaite et des mouvements contrôlés. L’illusion de la grandeur devait être parfaite et absolue. Hitler vantait aussi ses exploits militaires comme preuve de sa bravoure et de sa loyauté envers son pays.
Kim Kardashian est un autre exemple. Elle s’est consacrée entièrement à son image, sculptant son corps à coups de chirurgie esthétique et perfectionnant ses mouvements, sa posture et son comportement pour créer l’illusion de la divinité et de la perfection.
L’ethos est puissant. Il persuade sans rien exiger. Dans l’esprit non averti, la présence d’une personne qui semble forte, belle ou importante impose le respect. Même si le narcissique moyen n’est pas aussi dévoué qu’Hitler ou Kim Kardashian, il va quand même développer une stratégie. Il adapte son langage corporel, ses expressions faciales et sa tenue vestimentaire pour paraître plus important qu’il ne l’est. Les narcissiques vont aussi exagérer leurs réalisations, dans l’espoir de convaincre leur public de leur grande valeur.
L’apparence et la réputation sont les moyens utilisés par le narcissique pour rendre sa personne ciblée réceptive à son influence. Cependant, pour provoquer un véritable changement, le narcissique doit impliquer les autres en faisant appel à leurs émotions. Le narcissique fera parfois des déclarations et des accusations subtiles, parfois scandaleuses, dans l’espoir de déstabiliser les gens. Il fera également des généralisations radicales et passionnées afin de polariser les gens.
Les mots d’un narcissique peuvent faire peur à la personne ciblée ou lui faire honte en la ridiculisant. Le narcissique peut faire appel à la fierté d’une personne en remettant en question sa valeur et en la forçant à essayer de faire ses preuves. Le narcissique peut gagner l’affection de la personne ciblée avec son charme, ou la mettre en colère pour provoquer une réaction outrée. Dans tous les cas, le but est de déstabiliser la personne ciblée et de la forcer à se conformer à l’agenda du narcissique. Notre tendance à agir sous le coup de nos émotions nous rend tous vulnérables au pathos du narcissique.
Le but ultime du narcissique est d’accéder à l’esprit de la personne ciblée. Si désarmer une personne et déstabiliser son équilibre émotionnel sont des outils puissants, le narcissique doit frapper au cœur des croyances fondamentales de la personne pour s’assurer un contrôle efficace. En remettant constamment en question et en contestant la réalité d’une personne, le narcissique peut changer la façon dont les autres voient le monde et eux-mêmes.
Par exemple, un narcissique pourrait dire : « Tes amis ne se soucient pas de toi » ou « Ce n’est pas ce que fait un bon ami ». Selon la situation, le minimum qu’une telle déclaration peut obtenir est de te faire douter de tes amitiés, ce qui peut finalement te pousser à prendre tes distances avec tes amis. De cette manière, le narcissique parvient à t’isoler de ceux qui te sont chers. Le narcissique attaque sans relâche l’esprit de la personne ciblée, en utilisant un barrage de déclarations et de questions subjectives visant à reprogrammer ses croyances fondamentales.
Pour un effet maximal, le narcissique utilisera les trois piliers simultanément. Il cultive son image tout en discréditant et en ridiculisant ceux qui le menacent (ethos), tout en remettant en question et en attaquant la réalité de sa cible à l’aide de déclarations qui suscitent des émotions (pathos) et d’arguments et de déclarations convaincants mais subjectifs (logos). En utilisant l’ethos, le pathos et le logos, le narcissique peut neutraliser ceux qui menacent son pouvoir, désarmer sa cible, l’attirer dans sa réalité, puis la manipuler jusqu’à ce qu’elle se soumette. Utilisée sur des personnes non initiées, cette attaque psychologique est incroyablement efficace.
Pour se faire aimer de la personne ciblée, le narcissique doit se comporter de manière attrayante. Le narcissique est un opportuniste, et son rôle est spontané, apparaissant selon les besoins.
Voici quelques exemples de déguisements du narcissique :
Le narcissique va mélanger et assortir ces rôles, changeant de forme en fonction de la personne. Toutes ces apparences visent à désarmer la personne ciblée en flattant son ego.
La meilleure façon d’explorer votre ombre est d’examiner les qualités que tu détestes chez les autres, car elles sont probablement le reflet des aspects refoulés qui se cachent en toi. Dans le cas du narcissique, il fuit son ombre comme la peste et se concentre plutôt sur son faux soi. En créant une « lumière » grandiose, ils peuvent éviter leur obscurité. Cependant, lorsque la réalité remet en question cette illusion, les émotions refoulées de l’ombre ressortent avec force. La première défense du narcissique contre ça consiste à attribuer ces émotions à quelqu’un d’autre.
Le bouc émissaire libère le narcissique de son ombre et contribue à renforcer son éthique. En rabaissant les autres en présence d’un tiers, le narcissique crée l’illusion d’être « bon », puisqu’il est celui qui pointe du doigt la personne « mauvaise ». Cela peut être aussi subtil que de se moquer de quelqu’un qu’il perçoit comme plus faible que lui, de souligner l’incompétence présumée de quelqu’un, de colporter des ragots sur quelqu’un qu’il méprise secrètement, ou aussi ouvert que de s’en prendre à un groupe minoritaire.
Le bouc émissaire est une solution attrayante pour plein de raisons. Ça permet au narcissique de se débarrasser de son ombre sur quelqu’un d’autre, ce qui le soulage du poids des émotions négatives et de la rage refoulée. Le bouc émissaire aide aussi le narcissique à se faire des alliés en utilisant la méthode « diviser pour mieux régner ». Le narcissique compte sur le bouc émissaire pour créer un récit « nous contre eux », en utilisant l’éthos, le pathos et le logos pour convaincre les autres de rejoindre son camp.
Pour les non-initiés, prendre le parti du narcissique lorsqu’il désigne un bouc émissaire peut être une source addictive de satisfaction pour l’ego. Assumer son ombre est difficile et douloureux pour tout le monde, narcissique ou non. La vie est plus simple quand on peut renier ses émotions négatives et les diriger vers quelqu’un d’autre. Le narcissique le sait et s’en sert à son avantage.
Comme le narcissique est dans un état d’esprit dissocié et scindé, son comportement ne peut pas être compris à travers le prisme de la logique ou de la « justice ».
Une personne normale qui se heurte à une réalité dure ressentira un pic de honte, puis changera d’approche pour harmoniser sa réalité intérieure avec la réalité extérieure. Elle fait preuve d’empathie envers les autres, prend en considération le bien commun, puis essaie de coopérer d’une manière qui respecte ses besoins ainsi que ceux des autres. Elle comprend la règle d’or, selon laquelle on doit traiter les autres comme on aimerait être traité soi-même. Un narcissique, en revanche, fait exactement le contraire : la réalité extérieure doit être manipulée et modifiée par tous les moyens nécessaires pour soutenir sa réalité intérieure. C’est ainsi que naît le détournement cognitif.
Le détournement cognitif n’a rien de personnel. Un narcissique, tout comme beaucoup de ses personnalités protectrices associées, se perd dans sa paranoïa. Il se dissocie souvent, en proie à des émotions ou des états multiples et contradictoires. Son monde intérieur est un pur chaos, et il lutte pour donner un sens à cette confusion. En même temps, ils savent qu’en apparence, ils doivent être perçus comme « normaux » et, bien sûr, supérieurs. À cause de la dissociation, le narcissique a aussi des trous de mémoire. C’est une réalité horrible à affronter, et la seule façon de combler ces trous est de créer une fiction de ce qui s’est passé.
Il n’y a aucune logique dans les récits ahurissants du narcissique. Leur sentiment de soi est complètement fragmenté, sans fil conducteur cohérent dans leurs pensées, leurs émotions ou leur récit. Ils assemblent donc un récit à la Frankenstein en utilisant toutes les astuces et tous les mensonges qui leur viennent à l’esprit. Pour éviter l’horreur de ce qu’ils font, ils croient à cette fiction comme si elle était vraie. De cette manière, le narcissique ne ment pas. Il crée simplement une vérité « alternative ».
Cela se manifeste par des comportements tels que :
Le narcissique ne supporte pas de se voir comme un agresseur, car ça remet en question l’image qu’il a de lui-même comme étant tout-bon. Du coup, il fera tout ce qu’il peut pour expliquer son comportement et te faire passer pour le persécuteur.
Encore une fois, discuter avec un narcissique en utilisant la logique est inutile ; il n’est pas dans la même réalité que toi. Il t’entraînera dans un cycle infernal d’absurdités en niant ou en minimisant ce qu’il a fait, en soulignant ton soi-disant mauvais comportement, puis en attirant l’attention sur lui-même et sur la souffrance qu’il doit endurer à cause de toi. C’est ce que Jennifer Freyd a appelé DARVO, qui est l’acronyme de « deny, attack, reverse roles, victim, offender » (nier, attaquer, inverser les rôles, victimiser, offenser). C’est une façon insidieuse pour le narcissique d’éviter son ombre en reformulant les situations pour se présenter comme la personne innocente.
Pour garder son image « tout-bon », le narcissique ne peut ressentir que les émotions d’une personne « supérieure ». La honte, la culpabilité, la tristesse, le doute, la colère : rien de tout ça n’est acceptable. Le narcissique doit donc trouver un moyen de transférer secrètement ses émotions négatives sur les autres. C’est encore un autre processus de déni de l’ombre que Melanie Klein a appelé identification projective.
L’identification projective se fait de manière déguisée, commençant généralement par une « conversation » inoffensive sur une petite erreur que tu as commise. Au fur et à mesure que la conversation avance, le narcissique glisse ses jugements et « fait allusion » à d’autres erreurs que tu as commises. La conversation « dérive » alors progressivement et naturellement d’une conversation raisonnable et sincère vers un monologue hypnotique.
En apparence, tu es pris dans une conversation normale. Cependant, en utilisant le sous-entendu et la dérive conversationnelle, le narcissique fera des déclarations générales qui te présenteront sous un jour négatif. Cela est fait de manière si habile que tu endosses inconsciemment le rôle « tout-mauvais » et les sentiments qui y sont associés, tout en continuant à croire que tu as une conversation normale.
L’identification projective est ce qui conduit généralement à l’abus réactif, où la personne ciblée prend et exprime les émotions de l’ombre du narcissique sans comprendre consciemment comment cela s’est produit. Elle ne se réveille que du choc d’avoir été déclenchée, alors qu’avant cela, lentement mais sûrement, elle sentait la température monter en elle comme de l’eau bouillante, avant de craquer, acculée dans la position du « méchant ».
Dès que la personne est déclenchée, le narcissique surgit et pointe du doigt, accumulant les jugements pour faire comprendre que la personne ciblée est mauvaise. De cette façon, le narcissique a) se libère de ses traits négatifs et de ses émotions, b) prend le dessus moralement, et c) renforce son faux soi en tant que « tout-bon ». Pour couronner le tout, il force même la personne ciblée à se blâmer pour la dispute. Pendant tout ce temps, la personne ciblée n’a aucune idée de ce qui s’est passé et ignore complètement que le narcissique lui a injecté son poison à son insu. C’est complètement dingue.
Beaucoup de ces comportements de détournement cognitif peuvent se propager aux autres personnalités protectrices. Le psychopathe du narcissique malveillant peut recourir au détournement cognitif pour dominer, punir ou torturer. La personnalité limite peut recourir au détournement cognitif pour réguler son état émotionnel intense en reportant sa douleur sur une autre personne via le DARVO et l’identification projective. Avec chaque personnalité protectrice, les comportements sont les mêmes en surface, mais le processus sous-jacent est différent.
La triangulation est le pain quotidien de toutes les personnalités du groupe B, où l’agresseur introduit une troisième personne dans la dynamique relationnelle dans le but de faire pencher la balance du pouvoir en sa faveur.
La triangulation se présente sous deux formes :
La triangulation peut te faire ressentir les choses suivantes :
Voici quelques raisons pour lesquelles un narcissique peut recourir à la triangulation :
En fin de compte, les raisons de la triangulation dépendent de la personnalité du protecteur. Le narcissique utilise la triangulation pour réaffirmer sa supériorité et remettre la personne ciblée « à sa place », c’est-à-dire tout en bas. L’histrionique utilise la triangulation pour prouver qu’il est toujours désirable, pour attirer l’attention et pour rappeler à son partenaire qu’il a d’autres options. La personne limite cherche à sécuriser l’amour de son partenaire en provoquant sa jalousie et sa peur de l’abandon. Le psychopathe, bien sûr, cherche à affirmer sa domination et à punir son proche en lui causant un maximum de souffrance.
Les relations intimes nourrissent l’âme. Quand deux personnes se connectent vraiment, elles se séparent en se sentant vues et satisfaites. L’ego, en revanche, est insatiable. Il n’a jamais été qu’un outil de survie, une couche qui recouvre le vrai soi. Malgré toute son ingéniosité, l’ego ne peut jamais apporter la paix et l’épanouissement à une personne. Notre mode de repos était censé être le vrai soi. En le reniant et en s’enfermant dans un état de paranoïa créé par son esprit, le narcissique crée une situation intenable. Une fois qu’un faux soi grandiose s’est établi, il doit être nourri à tout moment, sans exception. Plus il grandit, plus il faut en donner pour le satisfaire, et plus la douleur est grande lorsque l’approvisionnement s’épuise. Comme toute addiction, une accalmie dans l’approvisionnement narcissique crée une crise.
En prenant le contrôle de la personne ciblée, le narcissique s’est assuré sa drogue et commence à la dévorer petit à petit. Il diminue la liberté et l’estime de soi de la personne ciblée et exige qu’elle le rassure tout le temps sur sa grandiosité. Pendant ce temps, il projette ses émotions négatives sur la personne ciblée par la honte et l’identification projective. La volonté et la confiance de la personne ciblée s’effritent rapidement sous les assauts constants. Le processus de dévoration est impitoyable ; la soif d’approvisionnement narcissique du narcissique est insatiable.
Qui, sain d’esprit, accepterait un tel sort ? Cette question est la clé pour comprendre comment le narcissique parvient à garder le contrôle pendant si longtemps : la personne ciblée n’est pas saine d’esprit.